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La force de la démocratie

Ce chapitre fut traduit d’un livre de Jerry Mintz qu’il a choisi de nommer No Homework and Recess all Day parce que selon lui, lorsque des enfants sont libres d’apprendre quand, comment et ce qu’ils veulent, ils se donnent plus de devoirs que l’on pourrait se l’imaginer. Jerry a enseigné pendant plus de 17 ans dans des écoles démocratiques. Il est très impliqué dans le mouvement de l’éducation alternative. Il est présentement le directeur d’AERO (Alternative Education Resource Organization). Il a aidé à fonder nombres d’écoles démocratiques à travers le monde. Il est également un instructeur de Ping Pong dévoué. Il nous explique dans ce chapitre comment les jeunes peuvent bénéficier de la démocratie dans les écoles.

Le mot démocratie est un des concepts les plus surutilisés ces années-ci, ce qui lui fait perdre beaucoup de sa signification. Toutefois, ce terme devrait exprimer quelque chose de très spécifique : un système de prises de décisions utilisé par un groupe de personnes afin de prendre de vraies décisions concernant leurs vies – leurs habiletés à prendre des décisions et à avoir ces décisions mises en application.

Évidemment, la démocratie dans les écoles est problématique à cause des lois associées à l’éducation obligatoire. En effet, peu importe à quel point une école est démocratique, il y a toujours un aspect obligatoire puisque les enfants et les adolescents doivent être dans un programme scolaire ou éducatif. Nous supposons que tous ceux qui sont dans une école démocratique y sont parce qu’ils préfèrent aller à cette école plutôt que dans une autre. Par contre, cela ne veut pas dire que ces jeunes préfèrent être dans cette école démocratique plutôt que n’importe où ailleurs.

Néanmoins, la démocratie dans les écoles fonctionne de la même façon que dans tous les autres contextes : lorsqu’une décision doit être prise, cette décision est prise par l’ensemble des individus de l’école. Cela implique également que les décisions qui ne concernent qu’une personne doivent être prises par cette personne seulement en autant que ces décisions n’affectent pas directement les autres membres de la communauté démocratique – situation dans laquelle la décision appartiendrait à la communauté. C’est pourquoi, à l’origine, le terme école-libre était utilisé pour faire référence aux écoles démocratiques.
Lorsque je discute de donner des pouvoirs démocratiques aux enfants, je prends pour acquis que je devrais exprimer quelque chose d’entrée de jeu. Les enfants sont des apprenants naturels. Ils n’ont pas besoin d’être «motivés» pour apprendre.

Concrètement, nous ne sommes pas en mesure de prédire ce que chacun d’entre nous veut apprendre ou faire. En fait, les mots «apprendre» et «faire» se confondent aisément – un apprentissage ne se produit pas dans un compartiment séparé des actions d’un apprenant. Même quand des personnes sont obligés d’étudier quelque chose, il est impossible de dire précisément ce qu’ils apprennent ou quand ils apprennent. Nous pouvons formuler des hypothèses, mais nous n’avons pas toujours raison.

Parce que les enfants sont des apprenants naturels, les élèves dans les écoles démocratiques, lorsqu’ils participent à des assemblées démocratiques, s’alimentent d’une source d’énergie et de créativité à laquelle la plupart des gens n’ont pas accès. Plusieurs emploient des termes tels que «spontanéité» et «créativité», mais il est rare de réellement voir ces qualités en action mise à part dans des situations d’apprentissage où les possibilités sont illimitées, c’est-à-dire où les élèves ne se font pas toujours dire quoi faire.

Lorsque je parle à des jeunes de l’école que je dirigeais, L’école Shaker Mountain, ils n’ont besoin que de dix secondes pour comprendre la philosophie de base de l’école. Je leur explique que toutes les décisions à notre école étaient prises de manière démocratique et que les élèves n’avaient pas à aller en classe à moins qu’ils l’aient désiré. À ce point dans la conversation, les jeunes s’assurent souvent d’avoir bien compris et me demandent : « Tu n’as pas à aller en classe à moins que ça te tente? Je veux aller à cette école. »

Il est surprenant à quel point cette réaction est fréquente et à quel point les jeunes savent que c’est ce qu’ils veulent. Il est également étonnant de voir comment peu d’adultes considèrent cette réaction significative. Il est souvent frustrant de réaliser comment notre culture accepte l’idée que les enfants n’aiment pas l’école – c’en est quasiment une farce – même si nous savons que les recherches récentes sur le cerveau indiquent que le cerveau est agressif dans son désir d’apprendre et que les enfants sont des apprenants naturels.

Les gens pensent que les jeunes sont lâches s’ils n’aiment pas l’école, mais n’y aurait-il pas quelque chose de problématique avec l’école? La plus grande révolution qui pourrait avoir lieu dans les écoles seraient probablement d’ouvrir les portes de chaque salle de classe – que les cours deviennent optionnels – et d’offrir un espace stimulant pour les jeunes où aller s’ils ne souhaitent pas être en classe.

C’est déjà le cas dans une école qui s’appellent L’école de l’autonomie, une école publique de 1200 élèves d’un quartier défavorisé de Moscou. Dans cette école, les élèves se sont fait donner un droit constitutionnel de sortir des classes lorsqu’ils le veulent, et ce, sans avoir à donner une explication. Les décisions à cette école sont prises par un parlement démocratique. Les élèves font également passer des entrevues aux enseignants avant qu’ils soient engagés, c’est-à-dire que ceux qui appliquent pour enseigner doivent faire une simulation de cours, par la suite, les élèves votent pour déterminer si ces enseignants vont être engagés.
Par contre, nous devons être prudents. Une démocratie ne peut être artificielle. Les jeunes peuvent comprendre facilement lorsqu’ils se font donner un pouvoir de décisions réel. Voir la rapidité à laquelle ils le comprennent est fascinant – en quelques secondes seulement.

C’est une des raisons pour lesquelles une démocratie dans une école peut être fragile. Lorsque des adultes dans une école démocratique renversent une décision prise par les élèves ou ignorent une décision de l’assemblée de l’école, la crédibilité de ces assemblées s’écroule. Aucun jeune qui se respecte ne serait prêt à se réinvestir dans ce genre de situations avant un certain temps.
Il est difficile de faire part aux gens de la force et du potentiel d’une assemblée démocratique à moins qu’ils aient déjà fait l’expérience de ce genre d’assemblées. J’ai constaté que, partout où je vais, lorsque j’effectue une démonstration d’un processus démocratique – et j’appelle toujours cela une démonstration – après 5 à 10 minutes, l’assemblée prend vie de par elle-même. On peut ressentir la puissance du processus dès que les gens réalisent qu’ils discutent de choses réelles et significatives, et qu’ils sont dans une position de prendre de vraies et importantes décisions, c’est-à-dire lorsqu’ils ressentent la force de leurs idées.

La majorité des écoles ne donnent pas à leurs élèves la possibilité de prendre des décisions parce que les adultes dans ces écoles ne se sont jamais fait octroyer le pouvoir de prendre des décisions à propos d’eux-mêmes lorsqu’ils étaient enfants. Ces adultes ont appris à redouter les processus de prises de décisions et, par le fait-même, ne croient pas que des jeunes devraient avoir le droit de prendre des décisions pour eux-mêmes. La plupart des adultes n’ont jamais fait l’expérience de la liberté. Ce faisant, ils craignent cette liberté.

Lorsque des gens n’ont jamais vécu un sentiment de liberté, ils ont peur de ce qu’ils pourraient faire s’ils étaient libres. Par exemple, ils craignent qu’une partie des frustrations qu’ils ont accumulée pour une période de temps surgissent. C’est effrayant, s’ils n’ont jamais vaincu ces sentiments, ils n’ont aucune idée de ce que ce serait après qu’ils soient devenus libres. Ainsi, il peut leur être difficile de croire que des jeunes sont capables de vivre de manière libre.

Dans les années 60, lorsque William Golding a publié le livre «Sa majesté des mouches», j’étais dans l’État de New York dans une école libre et démocratique du nom de Lewis-Wadhams. Lorsque nous parlions du livre avec les élèves qui étaient à l’école, ils nous disaient : « Bien, c’est sûr que ces jeunes allaient devenir des monstres étant laissés à eux-mêmes sur une île. Ce sont des jeunes écoliers anglais et c’est comme ça qu’ils réagissent. Ils ont été dans un système très autoritaire et allaient donc établir une hiérarchie et avoir des boucs émissaires. Ça n’arriverait pas si c’était un groupe de jeunes d’une école comme la nôtre et qu’on devenait naufragé sur une île. On serait capable de travailler en équipe. » J’ai même pensé rédiger un livre qui aurait été intitulé «La confrérie des mouches» à propos d’une situation de ce genre.

Il n’est pas facile de choisir de donner à des enfants le pouvoir décisionnel qui concerne leurs vies sans jamais avoir fait l’expérience soi-même d’un tel pouvoir décisionnel. Une des recommandations principales que je fais aux potentiels enseignants d’écoles démocratiques et aux parents est d’observer le fonctionnement d’une école démocratique. Vous devez assister au déroulement de ce fonctionnement afin d’au moins commencer à réaliser d’un point de vue intellectuel que cela peut marcher. Même après l’avoir vu avec vos propres yeux, il est possible que vous continuiez à douter et à croire que l’on doit forcer les jeunes à faire certaines choses sinon ils n’apprendront jamais. Toutefois, vous serez peut-être en mesure d’avoir l’habileté intellectuelle de vous arrêter et de commencer à laisser le processus démocratique se dérouler.

D’une certaine façon, au bout du compte, cette question concerne nos systèmes de croyances religieuses ou philosophiques les plus fondamentales : croyons-nous au péché originel ou l’être humain naît-il bon. De jeunes chrétiens fondamentalistes qui faisaient l’école à domicile m’ont déjà dit qu’ils ne pourraient jamais être non-scolarisés à cause du péché originel. Toutefois, si, à titre de fondateur d’une école, vous croyez que les enfants sont de par leur nature bons, qu’ils sont apprenants naturels, il est possible que vous soyez ouverts à l’idée d’une éducation démocratique.

Au coeur d’une école démocratique sont les assemblées démocratiques. Ces assemblées sont plus que la somme de leurs parties. Lorsqu’un groupe de personnes travaillent ensemble et qu’ils prennent réellement des décisions de manière collaborative, une force est active qui semble permettre à ce groupe d’individus d’accomplir plus qu’un groupe d’enseignants et d’administrateurs seraient en mesure de décider. Je suis parfois frustré lorsque je parle à des gens qui dirigent de très bonnes écoles ayant des environnements agréables et des activités intéressantes à faire dans lesquelles les besoins des élèves sont satisfaits sans que les élèves ne puissent prendre les décisions les plus fondamentales dans le cadre de l’assemblée de l’école. Je crains qu’ils ne sachent pas ce qu’ils manquent.

C’est bien lorsque les élèves ont de bons enseignants, que ceux-là sont intéressés par les sujets qui leur sont présentés et qui ne s’ennuient pas. Par contre, ces jeunes ne font pas l’expérience d’un sentiment d’être en contrôle de leurs cheminements scolaires. Ces élèves deviennent dépendants des adultes, estimant que ceux-ci prennent si bien soin d’eux. Ce type de situations contraste énormément avec celles dans lesquelles les jeunes sont réellement responsables de leurs propres éducations.

C’est encore pire dans les écoles publiques. Plusieurs couches administratives ont été construites au cours des années et ont solidifié un système qui était d’entrée de jeu très rigide. À chaque fois que quelque chose tourne mal, ils inventent un nouveau règlement pour qu’il devienne plus difficile pour tous de faire des choses. Vous pouvez lire ce que John Gatto a à dire pour vous questionner à savoir si le système d’écoles publiques a été conçu afin d’être une institution libéralisante et démocratisante ou pas. Présentement, ce système ne l’est certainement pas.

Plus le temps avance dans les écoles publiques, plus les jeunes grandissent, plus ils se sentent désemparés. Lorsque je parle de démocratie dans les écoles, les gens me posent une question qui leur semble raisonnable : « Que se passe-t-il avec les enfants plus jeunes? Ils ne peuvent pas se débrouiller dans un contexte démocratique. »

En réalité, les plus jeunes enfants n’ont pas encore été aussi désemparés que les plus vieux. Ce faisant, ils sont plus en mesure de prendre des décisions et d’accepter toute la responsabilité de prendre ces décisions. Il leur apparaît raisonnable de se faire demander leurs opinions et d’élaborer des solutions afin de prendre des décisions.

Plus des jeunes demeurent dans une école autoritaire qui leur impose un curriculum, plus ils deviennent déconnectés de leurs personnalités propres et de leurs confiances en soi en tant qu’apprenants. Ils commencent à suivre le cheminement d’apprentissage qui leur est demandé. John Gatto appelle ce phénomène «rendre sénile ». C’est effectivement un processus qui rend sénile car les jeunes qui décident de par eux-mêmes d’apprendre quelque chose peuvent l’apprendre dix fois plus vite que ceux qui doivent apprendre la même chose dans une salle de classe conventionnelle. C’est très frappant.

Par exemple, un élève est venu à mon ancienne école au Vermont, Shaker Mountain, lorsqu’il avait 10 ans alors que plusieurs pensaient qu’il avait un retard mental. Ces gens n’étaient pas sûrs – l’élève en question ne faisait rien en classe.
Je l’ai évalué et son vocabulaire était à peu près normal pour son âge. Pendant les premiers six mois qu’il a été à Shaker Mountain, il n’avait pas grand chose à dire lors des assemblées de l’école. Par contre, il assistait toujours aux assemblées, souvent debout derrière quelqu’un, bien que toujours portant attention, voulant comprendre tout ce qui se disait. Puis, six mois plus tard, je lui ai donné un examen standard de vocabulaire et j’ai découvert que son vocabulaire avait augmenté de six niveaux en six mois (un niveau est l’équivalent d’une année scolaire). Je présume que cela correspondrait à douze fois le rythme normal d’apprentissage. Un facteur qui explique cette amélioration est certainement la détermination du jeune à comprendre tout ce qui se disait en assemblée. Il est difficile de lutter contre l’immobilisme de notre énorme système d’éducation, système de plusieurs milliards, voir billions, de dollars qui souhaite demeurer comme il est. Dans le contexte, il devient nécessaire, du moins, dans les débuts, de sortir de ce système conventionnel d’éducation d’une certaine façon. C’est pourquoi je crois qu’un des éléments affectant le plus ce système provient de l’éducation à la maison, contexte d’apprentissage des gens qui décident d’encercler «aucune de ces réponses» lorsque la question de la scolarité est soulevée et de devenir responsable de l’éducation de leurs enfants. Évidemment, cela s’applique également aux écoles démocratiques et à d’autres alternatives. Chacun de ces modèles provient généralement de l’extérieur du système.

J’utilise souvent l’analogie suivante lorsque je pense au système d’éducation : l’école publique, ou la bureaucratie éducationnelle, s’apparente à un énorme ballon. Si vous tentez de mettre en place des initiatives innovatrices qui débutent quelque part à la surface du ballon et commencent à pousser vers l’intérieur, vous pourriez probablement faire avancer ces initiatives jusqu’au bout, même rejoindre l’autre côté du ballon. Par contre, dès que votre initiative s’arrêterait ou que la personne innovatrice quitterait, le ballon retrouverait sa forme de départ. C’est ce que le système d’éducation fait et c’est pourquoi il est si difficile, si ce n’est pas impossible, de le changer de l’intérieur. De toute façon, la problématique avec les enfants et les adolescents est beaucoup plus fondamentale que cela. Il s’agit d’une problématique qui concerne les droits de l’homme et les droits de l’enfant. Dans les faits, les enfants ont le droit d’être traités de la même manière que les adultes veulent être traités : comme des êtres humains.

Il est important de regarder cette problématique du point de vue des droits de l’enfant. Chacun devrait avoir le droit fondamentale d’avoir le contrôle sur sa propre vie et sur sa propre éducation – jusqu’au point où ses actions commencent à affecter quelqu’un d’autre. Lorsqu’on examine cette problématique ainsi, il est inconcevable de seulement se questionner sur l’efficacité de l’approche des écoles démocratiques, que cette approche soit comparée ou pas à une dans laquelle les jeunes sont bousculés et forcés à apprendre certaines chose.

Quelqu’un m’a récemment envoyé un courriel me disant qu’il avait demandé à 50 personnes comment ils se sentiraient s’ils se faisaient dire qu’ils avaient à aller, à partir de cette journée-là, dans un édifice spécifique, dans un local spécifique, à un bureau spécifique à tous les jours. Cela étant quelque chose qu’ils auraient à faire de cinq à six heures par jours pour les dix prochaines années. Évidemment, la réaction des personnes sondées fut qu’ils contacteraient immédiatement leurs avocats. Rien ne justifie une telle incarcération!

Néanmoins, c’est exactement ce que nous faisons lorsque nous envoyons les enfants dans des écoles obligatoires. C’est pourquoi je pense vraiment qu’en bout de ligne, il s’agit d’une problématique des droits de l’homme. Par exemple, si vous souhaitez travailler sur votre collection de timbres et c’est comme ça que vous voulez passer votre temps, qui pourrait se permettre de dire que ce que vous devriez vraiment faire serait de joindre un club de lecture? Ce que vous faites de votre temps ne devrait regarder personne d’autre que vous-même.